Vous êtes en classe de première au lycée Jean Monnet, à Montpellier et vous avez accepté de nous parler à propos de la liberté d’expression.
Enfant, tu ne donnes pas ton avis et on considère que tu n’as pas vraiment d’avis. Au collège, c’était plutôt conventionnel, tu n’es pas forcément qui tu veux être ; mais quand je suis arrivée au lycée, j’ai pu mieux m’assumer. En grandissant tu gagnes en liberté d’expression. Je suis maintenant dans un lycée artistique, et donc la liberté d’expression a une place importante. Je suis donc assez privilégiée.
Ça passe aussi par les manifestations. C’est très stressant d’aller en manif, mais j’y vais le plus possible. Quand tu y vas, tu te dis « si ça se trouve je vais me faire taper ou finir en prison ». La dernière manif, c’était par rapport  à la loi sécurité globale : si on ne peut pas filmer la police, montrer ce que la police fait — enfin certains policiers ! — on se retrouve privé de liberté. Les policiers ont le droit de nous filmer, ils ont tous des caméras sur leur torse. Ça crée de l’angoisse quand tu vois ça. Je peux aller aux manifs si elles sont autorisées, mais je prends le risque d’être fichée pour plus tard. C’est dingue.

Vous êtes nombreux à aller aux manifestations ?
Oui beaucoup de jeunes, en particulier à la dernière, car les teufeurs commencent à venir aux manifs, avec des sound systems, ce qui fait du bien. On est de plus en plus révolté et ce sentiment est partagé par beaucoup de monde. Rien que du fait d’avoir un masque, on est privé d’une liberté d’expression, d’une partie de notre visage, de nos sourires, de l’expression de nos sentiments.
On porte presque tout le temps le masque, même en partie en cours de théâtre, alors que ce devrait être un lieu de pleine liberté ! Ça change beaucoup les choses, c’est démotivant… Là je sens parfois que tout est mort, je fais du théâtre avec un masque, je ne peux plus aller à un spectacle… Où allons-nous ? Vers la mort, tout le monde à rester enfermé chez soi, s’abrutir devant la télé…

Quelle est l’influence des médias ?
Moi je ne regarde pas la télé, je suis plus sur les réseaux sociaux. C’est là que j’ai des informations : on regarde tous un peu les mêmes choses et on se partage les vidéos. Du coup, oui, on est influencé. Il peut y avoir des informations déformées par les médias, puis il y a l’interprétation des gens qui circule aussi et finalement on interprète des interprétations… Le risque est que chacun retienne seulement un fragment d’information et pas tout l’ensemble. J’ai Instagram, avec vidéos et photos et aussi beaucoup de commentaires. Par contre, je n’ai pas Twitter, du coup je n’ai  pas accès aux fake news qui tournent très vite, même si j’en ai ensuite des échos sur Instagram. En trente secondes, après un tweet, il peut y avoir un million de retweets. Je regarde des médias, comme Konbini ou Brut, qui passent beaucoup par la vidéo.
Y a-t-il une liberté d’expression dans les cours, en éducation civique, en histoire, en lettres, etc. ?
Un cours d’éducation civique était en janvier ??? sur la liberté d’expression. Je suis dans un lycée où il y a beaucoup de musulmans pratiquants, car on est proches de la Paillade. Un groupe de filles musulmanes ne voulait pas faire l’hommage à Samuel Paty, mais la professeure nous a dit : « L’école est un endroit où vous avez le droit de réagir comme ça. Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec l’hommage.
Vous avez défendu vos arguments, mais cet hommage reste quelque chose d’important. » La prof les a écoutées au lieu de les engueuler.
Finalement elles ont tout de même respecté la minute de silence.

Dans mon groupe de réflexion, il y avait une seule fille musulmane : elle n’était pas d’accord au sujet de la caricature du prophète, mais elle n’a pas osé s’exprimer ni donner sa position.Dernièrement en français, nous étudiions un livre, La princesse de Clèves, elle est amoureuse d’un autre homme que celui avec lequel elle est mariée : débat. Un garçon défendait une position très traditionnelle  et disait qu’elle ne devait pas aimer un autre puisqu’elle était mariée. Pour lui c’était horrible. La prof a reconnu qu’il avait le droit d’avoir cet avis.

Y a-t-il des sujets pour lesquels il y a une difficulté à parler librement ?
Dans le système scolaire, on est tout de même un peu manipulé. On nous apprend des choses pour qu’on ne se retourne pas contre l’État… On étudie les guerres, on nous présente la France comme puissante, mais on ne dit pas que la France a colonisé d’autres régions du monde et fait vivre des choses horribles à des gens. On est nombreux dans les classes : impossible d’exposer nos différents avis. Si on pose une question, on nous répond :  « Je n’ai pas le temps, il faut avancer dans le programme… »
En philosophie – on peut maintenant en faire dès la première – la prof ne partage pas ses propres pensées, mais elle parle « pour » le philosophe. On lui a dit : « ce que pensait ce philosophe n’est pas d’actualité, et vous qu’est-ce que vous en pensez ? » Mais elle a répondu : «  je n’ai pas le droit de vous donner mon avis. » On a tous trouvé ça dommage. Surtout qu’on a souvent l’impression que nos avis personnels ne valent rien, puisque ce n’est pas ce qu’on nous apprend…

Y a-t-il des sujets complètement tabous ?
Au lycée, il n’y en a pas trop, à part la religion. Il « faut » qu’on soit laïc, on n’a pas le droit d’exprimer sa religion, donc on n’en parle pas du tout entre nous.
Il y a beaucoup de filles qui portent le voile – pas dans le lycée même, elles n’ont pas le droit – on ne peut pas en parler, de peur qu’elles se sentent jugées.
Pour ce qui concerne l’intimité, la sexualité, le genre, pas de tabou mais les garçons ont moins de mal que les filles à parler de la masturbation par exemple. Il y a beaucoup de personnes homosexuelles. Dans d’autres lycées ce serait mal vu, mais là il y a  beaucoup de personnes trans par exemple. Elles s’affirment, de façon très détendue, il n’y a pas de jugement et une ouverture d’esprit. On a le droit de se sentir fille ou de se sentir garçon.
Dans mon lycée, tu viens habillé comme tu veux, avec un croptop, un trou à ton pantalon, ou en cosplay, déguisé en personnage de dessin animé, habillé en renard, ou en robe très très courte, personne ne te dira rien, alors qu’au lycée Jules Guesde, tu dois être vraiment correct. On ne doit pas voir ton ventre parce que c’est sexuel… il faut la « tenue républicaine » !!
Mais une fois que tu sors de la bulle du lycée où tout est génial, ce n’est plus le même regard autour de toi, et pour ta tenue, tu peux te faire agresser dans la rue.

Et en tant que fille ?
Il y a toujours le tabou des règles… et c’est plus restreint sur certains sujets. En tant que fille si tu parles de ta sexualité, tu es une pute, alors que si tu es un garçon c’est bien vu que tu en parles. Une fille qui a couché avec plusieurs garçons, c’est une pute, mais un garçon qui couche avec plusieurs filles différentes, Woua hou ! Quel beau gosse ! Les filles doivent se cacher davantage. Alors oui, en tant que fille, il reste des choses sur lesquelles notre liberté est limitée… encore.