Spiruline artisanale à Montoulieu, de la ferme à l’assiette

La spiruline est une micro-algue de la famille des cyanobactéries apparue il y a 3,5 milliards d’années. Consommée par les Aztèques, elle est redécouverte dans les années 70 pour ses vertus nutritionnelles : hyperprotéinée, riche en oligo-éléments et en vitamines, stimulant immunitaire, elle couvre la quasi-totalité des besoins alimentaires des êtres humains.
Produire de la spiruline de qualité et de proximité, c’est d’abord un choix éthique lié à sa valeur nutritive et écologique. Sa culture nécessite 150 fois moins d’espace, d’énergie et d’eau que celle du soja pour un apport similaire en protéines, explique Kevin. Cultivée sous serre, dans des bacs d’eau saumâtre, elle effectue sa photosynthèse à partir de 20° et se reproduit comme un levain à 30-35°. On obtient cette température par une et de serre naturel 6 mois par an, période où la récolte, journalière, représente 25 % de sa biomasse excédante.
Kevin et Florent, la trentaine, se sont installés en GAEC à Montoulieu en 2017 suite à une convertion professionnelle choisie et une formation à Hyères*. Après deux ans de recherche active dans la région, ils ont trouvé un terrain adapté et à prix raisonnable à Montoulieu : La mairie et le propriétaire ont été ouverts à notre projet et facilitateurs. Cette ferme aquacole représentait 800 m2 de bassins sous serres entourées de brise-vent, devenus 600 après une tempête en novembre 2020.
400 m2 par exploitant c’est la moyenne, mais 300 nous suffisent finalement.

Pour aller de la ferme à l’assiette il ne suffit pas de produire. Ainsi, après la récolte, le binôme effectue

le séchage, la transformation (en paillettes ou filaments) et le conditionnement sur place. Ensemble, ils gèrent aussi l’approvisionnement et l’entretien du matériel, la comptabilité, la communication, le site internet et bien entendu, la commercialisation. Les six mois où la culture est au repos, ils se partagent la vente sur les marchés de Ganges, St Hippolyte du Fort et St Bauzille de Putois, où les échanges avec les consommateurs les renforcent dans leur choix. Engagés et positifs, ils concluent : Après quatre ans le nez dans le guidon, on a enfin réussi à prendre chacun un mois de congé cet hiver, c’est bien !
M.R.
www.cevennalgues-spiruline.fr

* Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles de Hyères

Note du Porte-Voies : L’histoire de la spiruline est liée à la France et au Langue- doc en particulier. La culture artisanale a été élaborée par le Dr Ripley Fox dans son laboratoire de La Roquette (34). Il publia en 1986 une thèse sur ses travaux, suivie d’un second ouvrage « Spiruline : techniques, pratiques et promesses », (1999, éditions Édisud).
 Ces ouvrages fondamentaux ont permis la mise en place de cultures de spiruline sur tous les continents, pour proposer une solution contre la malnutrition dans les Pays en voie de développement, ainsi que pour la mise en place d’exploitations industrielles aux États-Unis, Chine, etc.

D’abeilles et de fleurs

Le miel est entré dans la vie de Jean-Pascal Lambert à 30 ans avec un apiculteur qui lui a ouvert sa porte.
Après une formation à Hyères*, il exerce ce métier quelques années dans le Loiret avec 250 ruches, expérience qui lui permet de confirmer une véritable vocation. En 1996, il s’installe dans la région de Ganges, attiré par une sobriété plus heureuse.
En 25 ans, les conditions de ce métier ont beaucoup changé, explique Jean-Pascal, surtout en raison de l’évolution de l’environnement qui a contraint les apiculteurs à adapter leurs pratiques. Le miel dépend des abeilles et des fleurs, deux organes vivants qui ont subi de multiples agressions depuis 50 ans. La sécheresse et le frelon asiatique ont décimé à deux reprises les 4/5ème de mes abeilles, aussi fragilisées par les néonicotinoïdes** et le ré- chauffement climatique.
Solidaire par conviction, Jean-Pascal a su tisser des liens de confiance dans la région qui lui ont permis de tenir bon face aux difficultés. En 2006, avec 3 apiculteurs de la région, il crée une miellerie collective. Ensemble, ils louent un local à la mairie de Moulès où ils récoltent et stockent leur production. C’est l’un d’eux qui a appris à Jean-Pascal les nouvelles techniques apicoles naturelles permettant de s’adapter à l’environnement actuel. Aujourd’hui on ne travaille plus avec des essaims naturels, on élève des reines. On ne se fie plus aux saisons, on doit en permanence observer la nature, plus imprévisible qu’avant, surveiller les saisons et inventer des techniques pour s’adapter.

Jean-Pascal produit juste assez de miel pour vivre et le vend au marché de Ganges. Depuis le premier confinement, je vends plus de miel. Le circuit court a pris du sens pour les gens. Ils se sont rendu compte de la valeur de la production locale. C’est un pro- grès, mais je trouve que les abeilles n’ont pas tout le respect qui leur est dû. Elles ont subi de lourdes pertes ces dernières années malgré une présence dans l’ecosystème depuis 100 000 ans, qui a largement prouvé son utilité.

*Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles.
**Insecticides chimiques hautement polluants utilisés dans l’agriculture depuis les années 70.

Note du Porte-Voies :
Pour une actualité récente sur la loi, extrait de l’article du Monde du 3 juin 2021 : C’est un avis qui va ravir les abeilles. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a identifié vingt-deux produits alternatifs à l’usage des insecticides néonicotinoïdes pour lutter contre la jaunisse des betteraves. (…)
Ces moyens de lutte pourraient prendre le relais des produits à base de néonicotinoïdes, interdits depuis 2018, mais dont l’utilisation a été réintroduite par dérogation en 2020 pour les traitements des semences de betteraves.
M.R.

Nous étions dix, nous étions cent. Sur le bitume, sur le pavé.

Nous étions dix, nous étions cent. Sur le bitume, sur le pavé. Le soleil avait sorti sa plus belle robe et nos yeux impatients. Nous étions dix, nous étions cent et nous avons marché. Cortège vibrant et foulant le pavé. Les trompettes pour claquer dans les rues. Éclatantes vibrations.

Nous étions cent et puis deux cents à fouler le pavé. Et nous avons marché. Marché jusqu’à la place. Parce que c’est toujours sur une place que tout démarre. Et tout a démarré.

La musique s’est dépliée, sortie de son nid, sortie en pied de nez. Investi les rues et les oreilles, réchauffé l’hiver. Sortie par derrière. Dessiné le printemps.

Nous étions vent et puis trois cents et nous avons dansé. Dansé debout. Debout. Parce que c’est en étant debout que tout commence. Quand nous prenons place et que nous sommes debout.

Nous étions sang ou quatre cents. Debout. Et comme toujours, quand tout démarre, que le monde est debout, je cherche un perchoir.

Nous étions cent ou bien cinq cents. Et je l’ai trouvé, trouvé un banc pour m’y percher. C’est là que toi tu es arrivé, tenant à peine sur tes deux jambes, en quête comme moi. D’un banc. Pour t’y asseoir.

Nous étions cent ou bien six cents quand Piazolla a pris la place. Dans les baffles dressées, le maestro s’est installé. C’est là que nous nous sommes tous assis. Toi sur le banc et moi aussi. Cercle de corps et de yeux réunis. Devant nous ils étaient deux. Deux qui se sont mis à tanguer.

Alors le temps s’est mélangé. Tous les pas perdus, les pas impatients se sont glissés dans les deux paires de souliers dansants. La liberté et la contrainte se sont fait face, les désillusions et les espoirs se sont roulés des pelles. Le passé, le futur n’ont fait plus qu’un. Pendant qu’Astor l’immortel continuait de jouer.

C’est à cet instant là que tu as pleuré. Tes yeux tout mouillés. Toi le grand homme du banc tout à côté. Tu as pleuré. Et tu as dit « ça me touche, ça me touche. J’étais danseur pendant quinze ans et ça me touche. » Et tous nous étions touchés. Par la musique infernale de Piazzola, par les corps qui s’accrochaient l’un à l’autre sans jamais tomber, par nous tous, ici, dehors, enfin.

Nous étions cent, nous étions huit cents et toi tu as pleuré. Tes pleurs ont coulé sur le bitume, ont rejoint les rigoles, ont emporté nos peurs. L’écorce de nos espoirs a grimpé les platanes et s’est accrochée tout à la cime. Les inquiétudes sont devenues certitudes et les peines sont devenues des phares.

Pas à pas nous reconstruirons des places vibrantes. Pas à pas nous danserons sur le bitume. Pas à pas nous reconquerrons la plaine, nous chanterons dans les micros et ferons valser les arbres de la place Salengro. Tes guibolles branlantes et le regard un peu soul, face au banc tu t’es mis à danser. Nous avons tous dansé. Nous étions cent et même neuf cents, et la place et nous ne faisions qu’un, et tout dansait. Tous debout, micro en porte-voix et notes en bandoulière.

À un moment tu as disparu. Je ne t’ai plus revu. Toi qui as osé pleuré pour nous tous. Parce que maintenant, nous le savons : nous ne sommes pas seuls, nous sommes dix, nous sommes cent, nous sommes huit cents, nous sommes mille et même plus qui feront pousser la musique, les poèmes et la danse à travers le bitume. Et nous reviendrons nous percher sur ton banc. Et toi tu seras là, et tu pleureras, tu pleureras le temps qu’il faudra.

Murielle Holtz

État d’urgence culturel. Manifestation du 23 janvier 2021 à Montpellier.

Murielle Holtz est autrice, compositrice interprète.